Mots-Clés ‘débat’

Combien ça fait d’handicapés ?

Mercredi 3 octobre 2012

Lorsqu’on soumet la question de l’accessibilité à un client lors de la réalisation d’un projet Web, il n’est hélas pas rare d’entendre cette question, posée sous des formes plus ou moins éliptiques et polies, mais dont le sens est finalement celui-ci : « qu’est-ce que cela va me rapporter ? «

Je propose ici de traiter la question sous l’angle de celui qui généralement la pose, puis celui de l’utilisateur handicapé. (suite…)

Ce que je pense des mises en situation de handicap

Lundi 2 juillet 2012

Dîner dans le noir, journée en fauteuil roulant dans une ville, parcours les yeux bandés au bout d’un chien guide, font partie des multiples manifestations qui fleurissent depuis quelques années et visent à faire prendre conscience aux valides des difficultés rencontrées au quotidien par les personnes handicapées. La question de leur intérêt ayant été récemment évoquée lors d’un échange de commentaires sur accessiblog.fr, il m’a paru utile d’y réfléchir et d’analyser pour quelles raisons je demeure encore sceptique quant à leur efficacité et leur but réel. En effet, je dois avouer que toutes ces mises en situation de handicap me laissent toujours un goût d’inachevé, une sorte de gueule de bois similaire à celle d’un lendemain de victoire en coupe du monde, un handi-blues en la-mentable mineur. Lorsqu’ils en sortent, les participants vos jurent qu’ils ont tout compris de votre handicap, qu’ils ont pris conscience de beaucoup de choses, qu’à présent ils feront attention lorsqu’ils croiseront une personne comme vous etc… Comment ne pas être soi-même galvanisé par le récit souvent émouvant qu’ils font de leur expérience, de leur ressenti ? Comment ne pas croire qu’enfin un minimum de compréhension ou d’intuition de ce que vous vivez s’est immiscé dans leur esprit ? Comment ne pas se sentir un instant soulagé à l’idée que la prochaine fois que vous les croiserez, vous n’aurez plus à réexpliquer des choses aussi évidentes pour vous que : montrer du doigt une direction en disant « là » ne vous est d’aucune utilité, ou que vous ne pouvez pas lire le menu dans un restaurant et les prix qui vont avec, à moins de posséder du matériel high-tech. Et puis, une semaine plus tard, patatras ! Vous recevez un mail humoristique dont toute la drôlerie tient dans une image, sans description. C’est une invitation pour aller voir « The Artist » suivi des « oiseaux migrateurs ». Vous voilà face à un incommensurable abîme d’incrédulité, de découragement, une sensation d’incommunicabilité intersidérale, un peu comme dans la chanson « Adieu minette » de Renaud.

Mais que s’est-il passé ? Ou plutôt, que ne s’est-il pas passé ? Qu’est-ce qui fait que la personne qui, huit jours auparavant croyait sincèrement avoir tout capté de votre handicap, et que vous-même qui avez cru à sa toute fraîche conversion, vous retrouviez confronté à ce qui n’est après tout qu’une boulette, comme nous en faisons tous, une gaffe finalement drôle pour elle-même ?

Eh bien, un énorme malentendu, un choc des fantasmes.

Du côté de la personne handicapée, du moins en ce qui me concerne, une immense attente sans cesse déçue, forcément, que l’autre ait ressenti jusque dans sa chair ma propre situation, se soit littéralement mis à ma place et en ait gardé une trace indélébile qui lui permettra, chaque fois qu’il s’adressera à moi ou interagira avec moi, d’être en phase et de trouver immédiatement l’attitude ou les mots justes. Evidemment, c’est une grave erreur ! Ce pour au moins deux raisons. La première est que chaque personne handicapée vit différemment sa situation, même pour un handicap identique. Telle personne aveugle sera par exemple très à l’aise pour demander son chemin, voire se laisser guider jusqu’à sa destination, tandis que telle autre préférera se débrouiller seule pour mieux le mémoriser. Inversement, la première personne s’avère être un vrai cordon bleu pendant que l’autre éprouve de l’appréhension devant une gazinière. La seconde raison tient à ce qu’il est aussi absurde de demander à un valide de se mettre à la place d’une personne handicapée que de vouloir faire rentrer le cochon de son plein gré dans la peau du saucisson. Cela reviendrait à pouvoir d’un seul claquement de doigt, transférer chez autrui quanrante années de vécu, de micro-situations de réactions, de paroles entendues, de solutions trouvées, d’éducation, de philosophie personnelle de la vie et de ce qu’on considère comme étant important et secondaire, d’une expérience ontologique de fait indissociable de soi-même, donc intransférable. On voit bien que c’est impossible, illusoire, fantasmagorique. Une autre raison, me semble-t-il, de ce malentendu du point de vue de la personne handicapée est le caractère simplificateur, presque caricatural des mises en situation. La vie quotidienne ne se résume pas à manger dans l’obscurité, quoique, la perspective pourrait en réjouir plus d’un, ni à un parcours bien défini qu’il faut se fader en fauteuil roulant. Elle est pleine de nouvelles aventures, de menus problèmes qu’il faut résoudre, d’imprévus auxquels il faut faire face, de clichés contre lesquels il faut lutter, mais aussi de situations où l’on se trouve avantagé, de rencontres fabuleusement riches que l’on n’aurait peut-être pas faites si l’on n’avait pas été handicapé. Passer 10 minutes devant un ordinateur, écran éteint, à le manipuler avec la seule aide d’une synthèse vocale ou déambuler dans un quartier à la recherche de commerces sans marche pour pouvoir y entrer avec un fauteuil sont certes autant d’actions utiles, mais elles ne soulèvent qu’une infime partie du voile de la différence.

Du côté des participants valides, fantasmes, attentes et idées toutes faites ne sont pas moins nombreux. Tout d’abord, lorsqu’on est volontaire pour s’impliquer, même une journée entière, dans ce genre d’évènement, on garde inconsciemment à l’esprit que la situation de handicap dans laquelle on est plongé n’est que temporaire, que d’une seconde à l’autre on peut, comme dirait la marionnette de PPDA : « reprendre une vie normale », qu’il suffit de se lever du fauteuil ou de retirer le bandeau que l’on a sur les yeux pour se débarrasser instantanément de l’inévitable angoisse générée par cette situation inhabituelle, inconfortable. Ce n’est qu’un jeu. Une fois guéri, pendant combien de temps se souvient-on très précisément de son dernier rhum et de tous les inconvénients qu’il nous a occasionnés ? Cela n’empêche d’ailleurs pas de ressentir de fortes émotions, d’être marqué durablement par tel ou tel moment, d’avoir même un choc qui vous incite par la

Suite à agir, voire à militer pour que les entrées d’immeubles publics aient une rampe d’accès, pour que les sites Internet soient conformes aux règles d’accessibilité. Mais cela, et c’est tant mieux, ne fera jamais de vous un handicapé. Ou alors c’est du mysticisme et là, faut vous soigner. La nature humaine est ainsi faite qu’elle a la faculté d’oublier, ou plus exactement d’escamoter, les épisodes, même les plus tragiques. Par ailleurs, le handicap, lorsqu’il est évident, visible, renvoie à des peurs, des angoisses collectives et ancestrales profondes, telle la cécité à la mort par exemple, lesquelles produisent des archétypes que les mises en situation ne peuvent à elles seules éradiquer. Enfin, on remarque qu’en grande majorité, les personnes qui participent à ce type de manifestation ont une sensibilité ou une curiosité qui fait qu’elles sont déjà disposées à recevoir le message que l’on souhaite faire passer. Pourtant, si l’on part du principe que l’on ne prêche que des convaincus, on se trompe et l’on ne fait plus rien. Il faut toujours espérer que l’on touchera ne serait-ce qu’une seule personne qui se sera trouvée là par hasard, qui n’avait nullement prévu de perdre son temps à ça et qui en sortira néanmoins transformée dans son regard et ses préjugés.

J’en arrive à la conclusion que les mises en situation de handicap sont nécessaires mais pas suffisantes. Elles sont nécessaires car il peut en rester un partage de sensations, d’émotions, un dialogue qui s’engage, un apprivoisement de part et d’autre. Elles ne sont pas suffisantes parce que les peurs et les fantasmes demeurent, parce qu’elles sont réductrices, parce qu’elles sont temporaires et fugitives dans la mémoire des individus, parce qu’enfin, elles ne doivent pas être confondues avec le fait de vivre au quotidien un handicap ou même aux côté d’une personne handicapée.

Elles peuvent donc faire prendre conscience de certaines choses, à condition qu’il y ait un suivi, une ligne directrice, un programme d’actions concrètes qui les prolonge.

handicap et exploit

Lundi 7 mai 2012

Je ressens toujours un malaise, une gêne aux entournures, voire quelque part au niveau du vécu, lorsque j’ai connaissance d’un reportage télé ou d’une vidéo sur Internet montrant des exploits de personnes handicapées. Ce fut encore le cas ce matin en découvrant cet (suite…)

Personne handicapée ou personne en situation de handicap

Jeudi 3 mai 2012

Cette question soulève fréquemment de vives polémiques, en particulier lors de travaux de traduction d’anglais international en français international. J’en ai moi-même fait l’expérience lors de ma participation à la traduction officielle du document « understanding wcag 2 » à laquelle participaient également Québéquois, Belges et Suisses. L’expression « en situation de handicap » qui a fait son apparition depuis 4 à 5 ans, m’a d’abord laissé perplexe. Je la classais volontiers parmi la foule des expressions issues du politiquement correct, pensant qu’elle voulait parler des handicapés mais en arrondissant les angles. Je n’ai pas tout de suite compris qu’elle ne désignait pas uniquement les personnes atteintes d’un handicap permanent, mais élargissait la notion de handicap à tout individu pouvant éprouver une difficulté à accomplir une tâche dans un contexte donné. Et même, lorsqu’il s’agit d’une personne ayant un handicap permanent, celui-ci doit être confronté au contexte dans lequel la personne évolue et agit. Pour illustrer cette nuance fondamentale qui devrait modifier profondément notre perception du « handicap », remettons-nous en mémoire la fable de La fontaine intitulée « Le renard et la Cigogne ».

Le renard et la Cigogne
Compère le Renard se mit un jour en frais,
Et retint à dîner commère la Cigogne.
Le régal fut petit et sans beaucoup d’apprêts :
Le galand, pour toute besogne,
Avait un brouet clair (il vivait chichement).
Ce brouet fut par lui servi sur une assiette:
La cigogne au long bec n’en put attraper miette,
Et le drôle eut lapé le tout en un moment.
Pour se venger de cette tromperie,
A quelque temps de là, la cigogne le prie.
« Volontiers, lui dit-il, car avec mes amis,
Je ne fais point cérémonie. »
A l’heure dite, il courut au logis
De la cigogne son hôtesse,
Loua très fort sa politesse,
Trouva le dîner cuit à point.
Bon appétit surtout, renards n’en manquent point.
Il se réjouissait à l’odeur de la viande
Mise en menus morceaux, et qu’il croyait friande.
On servit, pour l’embarrasser,
En un vase à long col et d’étroite embouchure.
Le bec de la cigogne y pouvait bien passer,
Mais le museau du sire était d’autre mesure.
Il lui fallut à jeun retourner au logis,
Honteux comme un renard qu’une poule aurait pris,
Serrant la queue, et portant bas l’oreille…

Passons sur la morale qu’en a tirée La Fontaine sur la tromperie et l’esprit de revanche, et tirons-en une autre, tout aussi pertinente : Handicap n’est qu’affaire de situation. La cicogne se trouve « handicapée » face à une assiette, tandis que le renard est tout à son aise. Inversement, la nourriture étant servie dans un vase, c’est le renard qui s’en trouve « handicapé », pendant que la cicogne se régale. Le terme handicapé(e) est ici entre guillemets, puisque, ni la cicogne, ni le renard ne sont à proprement parler handicapés. C’est la situation dans laquelle l’une ou l’autre se trouve tour à tour qui le rend maladroits, inadaptés, face à un à état de fait précis. De toute évidence, l’expression « en situation de handicap » eut été plus appropriée.

Supposons à présent que Dame cicogne et Sire Renard soient de très bons amis et que chacun fait bien attention à lui servir à manger dans le récipient qui convient à la morphologie de l’autre. Pourtant, Dame cicogne, à force de voir la misère depuis le ciel, est aveugle et Sire Renard, suite à un accident de chasse, se déplace dans un fauteuil roulant. Ce sont là deux handicaps qui, manifestement, resteront permanents. Le jour où la cicogne reçoit son compère renard, elle oublie d’allumer la lumière. Le renard, n’y voyant goutte, courtoisement, lui demande la permission de brûler une chandelle. A cet instant précis, la cigogne marche droit sur un scorpion qui s’apprête à lui piquer mortellement la patte. Le renard s’élance et écrase l’insecte d’une roue virile. La soirée se termine dans la bonne humeur, et l’on se promet de se revoir chez le Renard. Le jour dit, fringante cicogne arrive chez son ami et se trouve toute désemparée en entrant dans une pièce toute en pierre, si vaste que pas et voix résonnent en un écho qui l’empêche d’appréhender l’espace. Elle en fait part au renard qui avait dressé une magnifique table au centre de la grande salle. D’un commun accord, ils décident de dîner dans une pièce plus petite et tapissée afin que la cicogne ne soit plus désorientée. Le renard, tout à son bavardage, n’entend pas arriver près de lui une abeille dont la piqûre pourrait lui être fatale. La cigogne, toujours attentive au moindre bruit, gobe l’insecte d’un bec expert. L’amitié et la compréhension mutuelle, à la fin de cette soirée, s’en trouva renforcée.

Ceci démontre bien que, même en ayant un handicap visible et définitif, les capacités de l’individu ne sont diminuées que par rapport à une situation donnée. Mais qu’inversement, ces mêmes capacités peuvent être mises en valeur face à une autre situation ou grâce à des adaptations qui tiennent compte des difficultés de l’individu. Dans le contexte du monde du travail, une personne ayant un handicap aura d’autant plus à cœur de le compenser par d’autres aptitudes, compétences ou qualités, qu’elle cherchera, non seulement à ne pas représenter une charge, mais à apporter sa valeur ajoutée. C’est d’abord un défi personnel, celui de dépasser ses propres limites. Il revient donc à l’entreprise de savoir combattre ses craintes et ses préjugés vis-à-vis du handicap et de faire s’exprimer les compétences et les qualités du collaborateur handicapé en le mettant dans les meilleures conditions possibles ; en particulier en lui garantissant l’accès à l’information et aux applications métiers qu’il sera amené à utiliser.

En somme, chaque personne est susceptible de se trouver à un moment ou un autre en situation de handicap. Mais qu’il soit visible ou non, permanent ou temporaire, ce handicap est toujours surmontable, compensable, pour peu que l’on mette l’individu dans des conditions qui lui permettent de s’en affranchir et de donner la pleine mesure de ses compétences, de son savoir, de ses envies, de son énergie créatrice.

Qu’est-ce que l’accès à l’information ? (partie 2/2)

Mercredi 25 avril 2012

Dans la première partie de mon analyse, j’ai tenté de définir les différentes acceptions de la notion d’accès à l’information vis-à-vis d’un contenu web, selon les points de vue respectifs d’un développeur, d’un ergonome, d’un utilisateur et d’un client. Si cela m’a permis de dégager quelques perspectives, il m’a semblé intéressant, voire nécessaire, d’élargir la prospection à d’autres situations de vie (suite…)

Qu’est-ce que l’accès à l’information ? (partie 1/2)

Vendredi 23 mars 2012

Note : Le sujet étant vaste, je le traiterais dans deux billets séparés. Voici la première partie.
En matière d’accessibilité numérique, 13 ans après la parution des premières Règles Internationales sur l’Accessibilité des Contenus Web, et même si des méthodes d’applications plus opérationnelles existent, on constate que la conformité d’un site Internet au premier niveau (quel que soit le référentiel adopté) ne garantit pas automatiquement à l’utilisateur final un accès à l’information. C’est précisément ce à quoi le projet MIPAW, initié par BrailleNet et Qelios, vise à trouver une réponse. Pourtant, au stade actuel du projet, aucune définition de la notion « d’accès à l’information » n’a été donnée. (suite…)